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«Employeurs et pouvoirs publics ont tout intérêt à collaborer», soutient Christie Morreale

Crise sanitaire, plan de relance, transition climatique ou encore numérisation: les enjeux liés à la formation sont d’une brûlante actualité. Le secteur privé s’impatiente. La ministre de l’Emploi et de la Formation souhaite une meilleure collaboration et une responsabilité partagée.
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Vice-présidente du gouvernement wallon, Christie Morreale est ministre (PS) de l’Emploi et de la Formation. Egalement en charge de la Santé, entre autres, son agenda s’est évidemment fortement concentré sur la gestion de la crise sanitaire. Une crise qui, conjuguée avec les impératifs liés au plan de relance et à la transition climatique, a renforcé sa conviction qu’il faut, sur le plan de la formation, plus que jamais agir de concert avec le secteur privé.
La formation, c’est plus que jamais la clé de l’employabilité?
La clé de l’employabilité, ce sont les compétences. A cet égard, on met de plus en évidence, à côté des «hard skills», les compétences «techniques», ces fameuses «soft skills», plus «comportementales», qui vont permettre à l’individu de continuer à évoluer. Apprendre à apprendre, donc, est très important, puisque c’est cette aptitude qui va permettre d’actualiser régulièrement ses hard skills. Cet objectif d’apprentissage continu doit imprégner tout autant l’offre des pouvoirs publics que celle des employeurs, étant entendu que c’est dans le cadre du travail, sur le terrain, que les résultats sont les plus efficaces.
Certaines personnes ont effectivement acquis leurs compétences au travail, sur base de leur expérience, sans que cela donne lieu à une reconnaissance formelle…
C’est pourquoi la certification est un véritable enjeu. Il y a beaucoup de gens qui n’ont pas le bon diplôme en tant que tel mais qui ont développé des aptitudes, soit parce qu’ils ont exercé un métier, soit parce qu’ils ont développé des compétences personnelles, y compris en dehors de la sphère purement professionnelle, et il faut les créditer de cela. Leur octroyer une certification est un moyen de positionner ces individus vis-à-vis de métiers ou de formations pour lesquels ils n’étaient pas éligibles a priori.
Par exemple?
Prenons le cas de cette entreprise qui avait décidé de se séparer d’une partie de son personnel, dont certaines personnes qui y avaient travaillé pendant dix ou vingt ans, y avaient développé des connaissances techniques et s’y étaient dirigées vers certains types de métiers. Les certifications que ces travailleurs ont reçues par la suite leur ont permis de se profiler sur le marché de l’emploi de manière plus efficace, mais aussi d’être éligibles à des formations complémentaires. De telles reconnaissances des compétences acquises sur le terrain sont aussi importantes pour des personnes qui ont travaillé pendant des années en dehors d’un contrat en bonne et due forme, ou des personnes en provenance de l’étranger.
La crise sanitaire, est-ce une parenthèse ou un changement majeur dans la formation?
Nous avons fait un bond de cinq ans dans les compétences numériques: les employeurs, les travailleurs, les organismes de formation et d’autres acteurs encore ont été contraints de s’adapter aux normes sanitaires, de sorte que ce qui était inimaginable avant la crise est devenu réalité en un temps très court. Nous avons géré cela en organisant des formations à distance pour les demandeurs d’emploi, mais aussi en permettant à celles et ceux qui étaient en chômage économique de pouvoir y accéder. Nous avions 70.000 heures de formations à distance avant la crise, nous avons multiplié ce volume par 6 ou 7 pendant celle-ci. Ceci étant, le but n’est évidemment pas que l’offre numérique s’impose, mais bien qu’elle soit complémentaire à l’offre classique, en présentiel.
La formation à distance n’a-t-elle pas, comme le télétravail, montré ses limites?
Ce n’est pas la panacée, et il faut être attentif aux inégalités que la distance peut générer. Tout le monde n’a pas accès à un bureau séparé, certaines personnes ont été contraintes de travailler ou de se former en appartement, avec des enfants en bas âge, avec peut-être une connexion approximative ou des équipements peu performants. Il faut aussi tenir compte de l’impact sur la santé mentale, des effets néfastes liés à la baisse de motivation, à la perte de lien social, au manque de contacts, à la difficulté de se constituer un réseau, sans oublier l’emprise croissante de la vie professionnelle sur la sphère privée. Je reçois beaucoup de retours de psychologues, de spécialistes du droit du travail, entre autres, qui me donnent à penser qu’il faudra veiller à évoluer de manière très prudente vers un nouvel équilibre. Qu’il s’agisse du travail ou de la formation, conservons la valeur ajoutée, mais surtout pas de blanc-seing: il faut analyser et évaluer.
Vous avez évoqué, en matière de formation, une responsabilité partagée entre public et privé. Comment voyez-vous cela?
Il n’y a pas de baguette magique, mais une palette de solutions, et on n’avancera que si on travaille main dans la main entre public et privé. C’est parfaitement possible, à l’instar par exemple du travail qui est actuellement effectué sur les dispositifs de soutien à la formation continue. Il y a plusieurs mécanismes qui sont un peu épars, et j’ai donc confié à la concertation sociale, via le Groupe des partenaires sociaux wallons, le soin d’essayer de trouver une position commune qui va, je l’espère, pouvoir être appliquée dans les prochains mois, en visant un objectif de simplification. Et ce, d’une part, pour que le public qui doit bénéficier de ce type de formation soit bien ciblé, en particulier celles et ceux qui en ont le plus besoin et pour lesquels l’impact est le plus important, et d’autre part, pour que les employeurs eux-mêmes puissent plus facilement s’y retrouver parmi une offre d’incitants simplifiée. Plus globalement, le Forem a déjà beaucoup travaillé pour actualiser son offre, notamment des formations spécifiques liées au numérique, et va continuer à le faire, notamment au regard des besoins en compétences liées au plan de relance. Nous travaillons aussi beaucoup sur la réforme de la formation en alternance, à laquelle je suis très attachée.
Vous exposez l’effort du public, mais quid du privé?
Il y a aussi, évidemment, des efforts à faire de ce côté. Certains fonds sectoriels, par exemple, sont très utilisés dans certains secteurs, comme la construction, mais sous-utilisés dans d’autres, alors que les besoins sont là. Il faut aussi qu’on fasse comprendre à certains employeurs l’importance de la formation continue, voire l’importance des enjeux. Les pouvoirs publics ont par exemple mis en place des formations en lien avec les enjeux climatiques, en se rendant compte ensuite que tous les employeurs n’y investissaient pas. Plus globalement, je m’interroge quand je constate que, selon le baromètre de maturité numérique publié par l’Agence du numérique (Digital Wallonia), seulement 40% des entreprises qui emploient du personnel revendiquent une formation continue, moins de la moitié d’entre elles ayant développé des plans de formation en matière de numérisation.
Les employeurs recrutent-ils systématiquement les personnes formées par le public?
Il faut aussi améliorer cela. Prenons les opérations «coups de poing pénuries», ces dispositifs sur-mesure par le biais desquels le Forem investit dans des formations clés en main et qui obligent l’employeur bénéficiaire à recruter minimum 80% des personnes formées dans ce cadre: ce n’est pas toujours respecté. Et puis, il faut aussi travailler sur la motivation initiale et l’attractivité. Ici encore, il n’y a pas de solutions toutes faites, et il est inutile de se renvoyer la balle. Etant entendu que la formation sous la contrainte n’est pas une bonne idée, il faut motiver les gens pour les attirer. Et donc, sans doute, mieux communiquer sur les conditions de travail, sur les possibilités d’apprendre en lien avec les entreprises, sur le terrain, ce qui est beaucoup plus motivant pour certains que la perspective d’une formation purement théorique. Sur ce plan aussi, les secteurs public et privé ont tout intérêt à collaborer.
De PM