« Parfois plusieurs offres d’emploi par stagiaire »

Jamais sans doute, à l’aune des défis actuels, la formation n’a-t-elle été aussi importante. D’où le rôle central joué par les centres de compétence, parmi lesquels Technifutur, à Liège, fait encore et toujours figure de précurseur.

Accélérer le développement socio-économique régional via l’acquisition de compétences : telle est la « vision » de Technifutur, le premier, en date et en volume, des centres de compétence wallons. Liégeois, en l’espèce, vu que l’émergence de ce centre est intimement liée à l’histoire industrielle de la Cité ardente. Rencontre avec son CEO, Thierry Castagne, par ailleurs actif également dans les instances faîtières de l’Agence du numérique et de l’enseignement supérieur, entre autres, qui expose en quoi Technifutur est essentiel au développement de l’écosystème liégeois, entreprises comme demandeurs d’emploi.

Pourquoi la création de Technifutur fut-elle novatrice, à l’époque ?

Ce centre de compétence – il y en a 24 désormais à l’échelle de la Wallonie – fut conçu il y a 30 ans comme le fruit d’un partenariat inédit entre le privé et le public : entreprises, syndicats, Forem, enseignement. Et ce, au service de publics multiples : travailleurs, demandeurs d’emploi, étudiants, enseignants, etc. Ce choix de mutualiser les ressources en vue d’une meilleure efficience demeure plus que jamais pertinent aujourd’hui.

De quel budget disposez-vous ?

De l’ordre de 17 millions cette année, nos rentrées étant issues de facturations aux entreprises et de subsides pour les formations qui sont dispensées. Grâce aux fonds régionaux mais aussi européens, nous investissons de l’ordre de 1 million d’euros chaque année pour moderniser nos équipements. Nos chiffres-clés sont les suivants : 8.800 personnes formées en 2021, malgré la pandémie, pour 666.000 heures de formation, et près de 10.000 personnes sensibilisées aux technologies, notamment.

« Notre plan stratégique porte cette idée d’intégration, en fédérant l’activité de ces pôles autour d’objectifs communs comme la digitalisation, l’inclusion (la fracture sociale étant une réalité à Liège comme ailleurs en Wallonie), ou la transition verte : inutile de souligner à quel point l’énergie et l’environnement sont importants aujourd’hui »

Technifutur est organisé en trois pôles : l’industrie, le numérique et la mobilité. Pourquoi ces choix ?

Ils reflètent l’évolution de notre tissu industriel et de ses défis, qui conduisent à leur intégration croissante. Le pôle industriel est né avec Technifutur, par la reprise de l’école d’usinage de la FN, un fleuron. En fonction des besoins des entreprises s’y sont ajoutés le soudage, l’électromécanique, etc. Dans les années 90, les mêmes acteurs se sont développés dans les TIC, comme on appelait le numérique à l’époque : nos formations bénéficient aujourd’hui de manière très large à des acteurs aussi divers que des hôpitaux ou des sociétés de transport public, par exemple. L’automobile n’a été absorbée par Technifutur que plus récemment, par le biais de l’intégration du Campus automobile de Francorchamps qui n’avait pas la taille critique tout en étant complémentaire avec nos activités.

Complémentarité, intégration : comment ces dimensions se déclinent-elles ?

Notre plan stratégique porte cette idée d’intégration, en fédérant l’activité de ces pôles autour d’objectifs communs comme la digitalisation, l’inclusion (la fracture sociale étant une réalité à Liège comme ailleurs en Wallonie), ou la transition verte : inutile de souligner à quel point l’énergie et l’environnement sont importants aujourd’hui.

Concrètement ?

Notre démonstrateur « Industrie 4.0 » en est un exemple, résultat d’une réflexion ancrée sur le consommateur qui souhaite des produits de plus en plus personnalisés, de moins en moins chers, livrés de plus en plus rapidement et dotés de fonctionnalités de plus en plus intelligentes, tout en étant respectueux de l’environnement.

Sur le plan industriel, c’est un casse-tête : comment faire ? Notre démonstrateur prouve que c’est possible et même enthousiasmant. Des étudiants, des professeurs, des entreprises viennent découvrir cela, traduisant ensuite le cas échéant leur réflexion en acquisition de compétences, qui est notre cœur de métier. Ces personnes ont pu découvrir, de manière pédagogique voire ludique pour les enfants, une ligne de fabrication de smartphones, de tailles, de couleurs et de compositions différentes, de la commande à la livraison, en faisant appel à l’intelligence artificielle, l’internet des objets, la robotisation, la réalité augmentée ou la cybersécurité, notamment.

La transition verte ?

Elle est intégrée également à ce démonstrateur via l’éco-conception ou encore le « quick response manufacturing » qui aboutit au final à une diminution du temps nécessaire à la fabrication et de la consommation d’énergie. La transition verte est surtout un axe que nous déployons dans le cadre de notre projet « Green and Smart » qui se déploiera concrètement dans la rénovation de nos bâtiments (économie d’énergie et production renouvelable), avec ici encore une forte intégration du numérique via les réseaux intelligents (« smart grids ») par exemple. Le développement de l’hydrogène, également, fait partie de nos priorités.

Comment tout cela se traduit-il, sur le plan de la formation ?

Avant de former, nous sensibilisons. Nous ne sommes pas là dans l’acquisition de compétences mais dans la découverte, dans le but de provoquer un déclic. Une grosse moitié de notre public participe à ces activités, dont la moitié sont des élèves qui nous rejoignent pour une journée afin de participer à de l’impression 3D ou à la programmation d’un robot par exemple – une dimension qui sera d’ailleurs amplifiée dans le cadre du Pacte d’excellence. L’autre moitié de ce public est constituée d’entreprises qui viennent découvrir de nouvelles technologies et l’impact que celles-ci peuvent exercer sur leurs activités et leurs besoins en compétences.

Après la sensibilisation, donc, la formation ?

Effectivement, c’est l’autre moitié de notre public, à laquelle nous consacrons la toute grande majorité de nos heures, soit 660.000 en rythme annuel/: les entreprises, l’enseignement et les demandeurs d’emploi. En termes d’heures de formation, c’est ce dernier public qui requiert l’essentiel de notre effort (420.000 heures pour 900 participants) vu qu’on parle dans ce cas de formation de longue durée.

On dit parfois les entreprises réticentes à former des salariés… qui pourraient les quitter une fois formés. Vrai ?

Cette crainte est parfois présente dans les PME, qui doutent de pouvoir rivaliser en termes salariaux avec les grandes entreprises, mais c’est marginal. Il peut arriver que des salariés en formation échangent sur leurs conditions de travail respectives pendant les pauses, par exemple, mais ce n’est pas pour autant qu’ils vont changer d’employeur du jour au lendemain. Du reste, nombre de formations sont dispensées en entreprises, à la demande, ce qui réduit ce risque particulier.

Formez-vous suffisamment pour répondre aux besoins ?

Si nous pouvions former deux fois plus de demandeurs d’emploi, les entreprises seraient enchantées. Mais nous sommes déjà à plein régime aujourd’hui, et même si notre budget était extensible, nous serions confrontés à la pénurie… de formateurs, qui est réelle elle aussi. Certaines de nos formations sont déjà complètes plusieurs mois à l’avance.

Comment formez-vous les demandeurs d’emploi ?

Nous travaillons en partenariat avec le Forem, sur base d’objectifs. L’an dernier, nous avons formé près d’un millier de demandeurs d’emploi, par le biais de 112 cycles de formation. Le problème, c’est le recrutement de ces personnes pour les amener à se former dans des filières qui sont en pénurie : sur 100 candidats qui viennent s’informer sur nos cycles, il n’y en a parfois qu’une petite dizaine pour finalement s’y inscrire. À cela s’ajoute le fait que certains d’entre eux abandonnent en cours de route, pour des raisons personnelles… ou parce qu’ils sont recrutés par une entreprise. On peut s’en réjouir, la personne ayant décroché un emploi, mais aussi le regretter, car il aurait été préférable qu’elle aille au bout de sa formation.

« Le taux d’insertion tourne autour de 70/% mais cette statistique est inférieure à la réalité car elle n’intègre pas les demandeurs d’emploi que nous avons formés et qui se sont lancés comme indépendants ou qui ont trouvé un job à l’étranger, notamment au Luxembourg qui attire beaucoup de candidats »

Comment analysez-vous ce manque de motivation à se former ?

La réforme de l’accompagnement des demandeurs d’emploi par le Forem, qui sera plus personnalisé, plus individualisé, devrait permettre de mieux les épauler dans leur cheminement vers la formation et ensuite vers l’emploi. Des employés du Forem travaillent déjà sur notre site, en lien avec les entreprises, afin de favoriser des passerelles.

Quel est le taux d’insertion des demandeurs d’emploi que vous formez ?

Il tourne autour de 70/% mais cette statistique est inférieure à la réalité car elle n’intègre pas les demandeurs d’emploi que nous avons formés et qui se sont lancés comme indépendants ou qui ont trouvé un job à l’étranger, notamment au Luxembourg qui attire beaucoup de candidats. Juste un exemple pour fixer les idées : nous avons actuellement 8 personnes qui se forment en usinage, qui toutes ont déjà reçu plusieurs propositions d’emploi avant même la fin de leur cursus.